mercredi 13 juillet 2005

Feu d'artifice

J'ai écrit ceci il y a environ dix ans, mais il s'agit, entre autres, d'une soirée de 13 juillet, comme ce soir, pendant que j'entends les pétards éclater et les feux se préparent pas très loin de moi, cette année j'ai décidé à ne pas y aller, je vous offre ce récit à la place.

Des souvenirs venus d'il y a longtemps. Je me suis dit, peut être, entre tous mes lecteurs, il y a un qui souffre, qui peut le comprendre, qui va en prendre peut être un peu de courage : il y a de la vie, après "ça" aussi.

Le feu
C’était une nuit de 13 Juillet, de quelle année ? Probablement 1973. Je tenais les mains de ma fille Agnès, onze ans et de mon fils Ionel, sept ans. Mon mari était là, lui aussi, quelque part, probablement bavardant avec un copain de travail ou alors faisant la cour à une autre femme. Nous venions d’admirer à Clamart une magnifique feu d’artifice, maintenant nous regardions le grand feu allumé au milieu du pré.

C’était le premier feu à l’air libre que mes enfants voyaient. Agnès décrivait les couleurs changeantes rouge orange, les flammes crépitantes, l’odeur du bois et du sapin, sa chaleur quand on s’est approché. C’est magnifique ! Et le français d’Agnès est beau et riche ! On sent qu’elle a fait toutes ses études ici.

— Allons un peu plus loin, il y a un petit vent qui s’est levé, je ne voudrais pas qu’on prenne feu.

Ionel veut lâcher ma main, se rapprocher, courir plus près, contourner le feu. J’ai peur de les perdre dans cette foule, mais, oh ! que je le comprends.

— Bon, allez-y, mais ensemble. Regardez ce poteau, je ne bouge pas d’ici. Puis, ainsi papa qui est quelque part par là pourra nous retrouver plus facilement.

Ils sont partis en sautillant, ravis.

Je regardais le cœur serré le feu crépiter, s’élever. Amère, triste, presque résignée. J’aurais voulu me sentir légère de nouveau, avoir envie de courir autour de feu, danser la danse du feu, comme autrefois. L’amertume de femme mal aimée, pas appréciée m’en a empêché.

« Oh, que ce serait différent si mon mari avait encore l’envie de rester à côté de moi, de tenir ma main. Si je pouvais moi aussi, l’aimer comme avant. Si... »

En regardant les flammes monter et descendre, en écoutant le crépitement du feu rougeâtre changeant, je me suis rappelé de mon premier feu.

J’avais vingt-trois ans. C’était au mois de juillet 1957, la première journée de mes vacances. Je venais d’arriver passer quelques jours dans une station des Carpates avec la famille de ma tante. Un petit village, si loin de la France. Le soir même on a allumé un feu devant la maison, juste pour nous et les copains. Un feu plus petit que celui-ci mais aussi beau, pour moi même plus, mon premier feu... J’avais eu envie de danser autour de ce feu-là, fêter la joie de la nature, les flammes, le bien être d’une jeune fille aimée pour la première fois.

Je n’étais pas encore femme, malgré mon âge, mais j’étais enfin aimée. Je crois, que je l’aimais, moi aussi. J’étais profondément attachée à lui à ce moment-là, mais il était volage et j’attendais à un homme sérieux, fidèle. J’étais libre, fraîche, naïve, prête à tout ce qui arriverait.

Le lendemain, j’ai rencontré Lilla qui passait ses vacances, seule, dans la maison des artistes, pas loin de là. Mais elle était plus solitaire que moi et si amère, si triste et abattue - comme moi, aujourd’hui. Lilla avait été ma collègue de classe lorsque nous avions onze ans, elle était la première de la classe et même dans l’école, seulement des « très bien » en tout, depuis les maths jusqu’à la gymnastique ou le chant. Malgré tout, elle n’était pas fière, imbue d'elle même, elle restait sympa, chaleureuse, nous l’aimions tous. Notre prof de gym lui recommanda de faire du ballet. Justement, on acceptait des petites de notre âge à l’opéra où l’on donnait des cours gratuits.

“Moi aussi, je veux danser dans toutou, avais-je dit à maman.”

Nous sommes allées ensemble aux premiers cours de danse à l'Opéra. Aussitôt, Lilla sauta plus haut, plus gracieusement que nous et trois mois plus tard elle était les premières danseuses dans les classes des petites. Écœurée, j’ai renoncé ; je ne pourrais jamais y arriver.

Bon, j’étais doué pour écrire, j’ai commencé à faire des critiques de l’opérette et théâtre. On les a publiés, j’étais ravie. “Je suis écrivain”, me suis-je dit aussitôt. Puis nous avons changé d’école, je suis partie de ma ville natale et nos chemins se sont séparés.

De temps en temps, j’ai entendu parler de succès de Lilla, de son ascension rapide et méritée. Une fois, je l’ai même vu danser ; une autre fois, je l’ai aperçu dans un film où elle avait un numéro. Elle était devenu la prime ballerine de l’opéra. Elle dansait gracieusement, merveilleusement bien. Elle avait le don, l’assiduité et en plus l’intelligence.

Dans ces montages des Carpates, où nous nous sommes rencontrées par hasard, nous nous sommes promenées ensemble une journée entière. Je lui ai lu des parties de mon journal.

« Oh, que je t’envie ! me dit Lilla.

— Quoi ? Toi, tu m’envies, moi ?

— Oui. Tu es encore une jeune fille. Toute est devant toi. Pas derrière, continua-t-elle, comme pour moi. Tu n’es pas amère, désabusée, vidée, déçue par la vie. »

Oui, Lilla se sentait alors, comme moi, quinze ans plus tard.

Lentement, elle m’a tout raconté. Ce n’était pas facile à comprendre, c’était la première fois que j’entendais parler des hommes, comme ça...

Elle a été très tôt entourée, courtisée : prima ballerine. Sérieuse, mais naïve, finalement elle s’est laissé séduire par un copain, une autre étoile de danse, son égal.

“ Oh, qu’il était beau, je l’aimais tant, oh comme c’était divin de danser avec lui ! Oh, que nous nous aimions, croyais-je du moins. Nous nous sommes aimés, nous dansions ensemble, nous nous sommes mariés. J’étais aux anges, jusqu’à ce que je découvre la vérité.
En réalité, ajouta-t-elle finalement, il aimait les hommes.” Lilla, il l’utilisait seulement pour de la poudre aux yeux, autour de lui. "Et je l'ai découverte un jour, je l'ai vu, chez nous avec l'un."

Tout s’est écroulé autour d’elle.

Plus tard, elle a encore essayé l’un ou l’autre, mais elle aimait toujours seulement son mari. Elle n’aime plus personne et vient de décider de divorcer.

— Je n’attends plus rien de la vie, par contre, tout est encore devant toi, dit-elle.

Elle n’avait pas ajouté, mais c’était sous-entendu : “Fais attention.”

Je l’ai écoutée. Je croyais l’avoir écouté. J’ai finalement choisi le plus brave garçon, celui dont je croyais qu’il m’aimerait toujours, qu’il me sera toujours fidèle.
***

Le feu du pré de Clamart baissait. Ni mes enfants, ni mon mari n’étaient encore en vue.

Où pouvaient-ils être ?

Tout à coup, j’aperçus mes enfants, ils dansaient une ronde avec trois autres petits. Mais mon mari? Il nous conduit à la fête, puis nous plante pour toute la soirée. Où est la fête ? Oh, que je voulais danser. Retrouver mon ancien amant, mon amoureux de jadis. Même, surtout, celui d’avant notre mariage... (j'ai coupé une partie d'ici, pour ne pas anticiper sur mon journal et pas important pour le propos)

Et voilà, à Clamart, nous sommes toujours en 1973, et mon mari revient. Nos enfants aussi.

« Dansons un peu, s’il te plaît, lui demandai-je.

— Non, pas question, nous sommes trop vieux pour ça, répond-il. Nous partons immédiatement! Sans discussions, assez ! Je vous ai sortis vous amuser. Cela suffit. »

Nous rentrâmes tous à la maison avec tristesse, mal au cœur même les enfants auraient voulu s’amuser encore.

La fête était finie.

Comme Lilla, il y a des années. Pas pour le même motif, non. Mon mari, avait quarante ans comme moi, mais il aimait les femmes très jeunes, les femmes comme j’avais été autrefois.

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